Pour écouter la conférence donnée par Gaston Launer, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous :
""Et puis, on apprend que les nazis ont tué deux femmes*, une dame en bas du village et puis en face, rue du Faubourg. J'y cours parce que la dame est blessée, est blessée mortellement.
J'arrive près de la pauvre femme. Son fils** était penché sur sa maman qui allait mourir parce que (incompréhensible/20'12''), elles avaient reçu une rafale de mitrailleuse.
Je fais croire à la sentinelle allemande que je suis de la famille, qu'il faut un docteur.
— "Les docteurs : terroristes !"
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Alors je cours à la crèche chercher une Soeur-infirmière qui vient avec sa malette. Elle sera refoulée brutalement par ce nazi.
La pauvre femme mourra après avoir perdu tout son sang.
Sur le registre d'état civil de la mairie de La Petite-Raon figure en mention, figure en marge de sa naissance : Morte pour la France.
Et quel crime reproche-t-on à ces deux femmes ? Le seul fait d'avoir été à la petite messe du matin et de tourner le dos à la mairie.
Et puis, mon petit frère et moi nous rentrons dans notre grande maison. On a peur.
Mon père m'avait toujours dit, m'avait tracé un chemin que je devais prendre pour fuir chez notre tante à Moussey en cas si les allemands viennent chez nous.
L'amie de mon père et sa fille vont venir chez nous parce que elles aussi ont peur. On va tous coucher dans la même chambre, et même mon petit chien que j'avais oublié dans la tourmente.
Il est 2 heures du matin. Les grands coups dans la porte. J'ouvre la fenêtre : trois nazis qui me somment d'ouvrir la porte. Je vais réveiller mon petit frère pour fuir par derrière : la maison est cernée; il y a des allemands partout.
Alors, je descends pour ouvrir la porte. Les allemands ont tellement tapé fort avec leurs crosses de fusil que la serrure, j'arrive plus à ouvrir la porte. La serrure, y'a du mou.
Alors, je dis aux allemands "je ne peux pas ouvrir la porte !".
— "On tire !" (incompréhensible/17'30'')
— "Non ! Non ! Non ! Non ! que je dis, je vais ouvrir la porte de la grange !".
Alors, je vais ouvrir la porte de la grange et, comme des fous, les trois nazis rentrent dedans, pénètrent.
L'officier nazi, qui parle aussi bien le français que moi, va ordonner à un de ses hommes de m'enfoncer son fusil dans le dos pour que je monte les escaliers.
Arrivés en haut, l'officier allemand me somme d'ouvrir la porte de l'atelier de mon père. "Y a le maquis ici !" qu'il me dit en découvrant tous les habits que mon père confectionne. J'ai un mal fou pour lui faire comprendre que mon père est tailleur d'habits.
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L'officier allemand m'enfonce son révolver dans l'estomac pour que j'avoue. Je dis n'importe quoi. Renvoyé à la cuisine , l'officier allemand m'enfonce à nouveau son révolver dans le ventre en me disant "on emporte tous les hommes de plus de 18 ans".
—"Oh, j'ai pas peur ! je lui dis, "j'ai plus de 18 ans".
— "Mais non ! Tu n'as que 14 ans !" corrige l'amie de mon père.
— "Ah oui, c'est vrai !".
Le nazi, il enfonce une troisième fois son révolver dans mon estomac pour me dire "dis la vérité !".
Pendant ce temps, les deux nazis qui sont un peu plus loin ont la gâchette sur leur fusil.
Et puis, l'officier nazi va dans la chambre à coucher : au fond du lit, ça bouge.
"Qu'est-ce qu'il y a dessous ?" dit-il. Je lui dis "c'est mon petit chien".
Le nazi va prendre la crosse de son arme, va donner un grand coup sur le chien qui se met à hurler. Il ne sera pas tué.
Cette nuit-là, les allemands vont emmener plusieurs femmes de l'hôtel en face de chez nous. Ma fenêtre est ouverte, celles de l'hôtel aussi. Dehors, c'est la nuit noire. Et je vais entendre des hurlements comme des appels au secours. Les allemands ont emmené de force des femmes qu'ils vont violer. Je ne saurai jamais combien qu'elles étaient.
Et puis, ensuite les SS vont laisser la place aux soldats de la Wehrmacht qui vont réquisitionner des chambres un peu partout.
Et ma chambre sera occupé par un soldat allemand, un jeune soldat allemand de 20 ans qui en a marre de la guerre, qui en a marre de Hitler. Ce jeune allemand va partager ses rations alimentaires avec moi.
Tous les jours, il s'en va avec son tank du côté de Baccarat parce qu'il est tenu à obéir aux ordres de ses chefs.
Un beau jour, il ne viendra plus. Je demande à ses camarades "où est passé Willy ?" Ses camarades me diront "il a eu la tête coupée par un obus".
J'ai pleuré cet allemand parce que je m'étais familiarisé avec lui.
Et puis, je vais me faufiler dans les chambres des allemands pour avoir à manger; et ce sont les allemands qui me diront de me méfier des collabos des nazis, des miliciens, des pétainistes.
Et puis, je vois que mon temps de parole commence à s'écouler.
On va arriver à la Libération.
*Relation des circonstances de l'assassinat et de l'agonie de Madame Zimmermann en cliquant sur le lien ci-dessous :
** Gaston Launer et Philippe Luszezinski ne se reverront à La Petite-Raon qu'en 2014, soit soixante-dix ans plus tard !
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